Après la nomination d’Eric Dupond-Moretti, un procureur de la République demande à être déchargé de ses fonctions – Le Figaro

C’est une décision rarissime et qui symbolise les craintes d’une partie des magistrats. Le 7 juillet dernier, au lendemain de la nomination de l’avocat Éric Dupond-Moretti comme ministre de la Justice du gouvernement Castex, un procureur de la République en Guadeloupe a demandé à être déchargé de ses fonctions. Cette information, révélée par RCI Guadeloupe, a été confirmée au Figaro par l’intéressé. « J’estime que les conditions ne sont plus réunies pour que je puisse poursuivre loyalement ma mission à la tête du parquet de Basse-Terre », nous confie Jean-Luc Lennon, précisant qu’il s’agit là d’une « démarche personnelle, issue d’une réflexion menée en conscience ».

« Le procureur de la République a pour vocation d’appliquer la politique pénale du gouvernement. Il faut donc être en adéquation avec celle-ci. Or je ne pense pas pouvoir être en capacité de le faire », développe le magistrat de 55 ans, en poste depuis 2019 en Guadeloupe. Pourtant très attaché à ses fonctions, le procureur justifie ce choix en mettant en avant « la personnalité clivante de l’actuel garde des Sceaux ». « Les propos qu’il a pu tenir par le passé lorsqu’il était avocat ne sont pas de nature à me rassurer sur les possibilités de travailler sereinement sous son autorité », ajoute-t-il.

Divergence de visions

Plusieurs fois, le célèbre avocat s’en est pris aux juges, leur reprochant notamment de cultiver « l’entre-soi » et le « corporatisme ». Il s’est également prononcé pour la suppression de l’École nationale de la magistrature, « incapable de former les futurs magistrats », et s’est dit favorable à une scission entre les juges du siège, chargés de dire le droit en rendant des décisions de justice, et ceux du parquet, ayant pour fonction de requérir l’application de la loi. « Le procureur doit rester sous la dépendance du pouvoir politique car c’est le gouvernement qui fixe la politique pénale », affirmait-il fin juin dans une interview accordée au Parisien, alors qu’il était encore avocat et qu’il s’offusquait des méthodes du parquet national financier. « En revanche, il faut un juge du siège séparé du parquet et totalement indépendant pour pouvoir le contrôler », ajoutait-il.

Une vision que ne partage pas Jean-Luc Lennon. Pour le procureur de Basse-Terre, l’indépendance du parquet doit au contraire « intégrer » les magistrats du parquet et ceux du siège. Les mots d’Éric Dupond-Moretti, lors de la passation de pouvoir avec Nicole Belloubet, n’auront donc pas suffi à rassurer le magistrat. Le nouveau locataire de la place Vendôme assurait pourtant vouloir «avancer sur un projet qui (lui) tient à cœur: l’indépendance de la justice» et «être le garde des Sceaux qui portera enfin la réforme du parquet tant attendue ».

«Une forte inquiétude dans la profession»

Le procureur de Basse-Terre a adressé sa demande mardi au garde des Sceaux et à sa hiérarchie. Il s’est appuyé sur l’article 28-2 de l’ordonnance de 1958 relative au statut de la magistrature et qui dispose qu’un procureur peut être déchargé de cette fonction « sur sa demande ». Demande, qui en principe, ne doit pas pouvoir lui être refusée et qui fera l’objet d’un décret. Dès qu’il sera publié, le procureur pourra retourner au parquet général dans un poste plus juridictionnel et pourrait, à terme, rejoindre les juges du siège, statutairement indépendants. Toujours dans l’attente d’une réponse, Jean-Luc Lennon espère pouvoir quitter son poste d’ici la rentrée. «C’est très difficile pour moi d’être en poste actuellement», glisse-t-il pudiquement.

La nomination d’Éric Dupond-Moretti a fait l’effet d’une bombe dans les rangs de la magistrature. « Cette décision témoigne d’une forte inquiétude dans la profession », réagit auprès du Figaro Céline Parisot, la présidente de l’Union syndicale des magistrats, principale organisation représentant les juges. « Nous avons reçu un grand nombre de soutiens et de témoignages de la part de collègues très remontés. On a nommé quelqu’un qui nous a ouvertement méprisés », veut rappeler la magistrate.

Une décision «très inhabituelle»

Selon Céline Parisot, la décision de Jean-Luc Lennon est rarissime. Certes, il arrive que des procureurs demandent à être déchargés de leur fonction mais pour des motifs tout autres. « Par exemple, un juge des enfants qui ne supporte plus la charge émotionnelle de son poste ou bien un magistrat, malade, qui ne pourrait plus assurer ses fonctions . Là, on est dans une décision très inhabituelle », conclut Céline Parisot.

Joint par Le Figaro, le cabinet du ministre a rappelé qu’Eric Dupond-Moretti «n’était en guerre avec personne», reprenant les mots qu’ils avait prononcés lors de son discours de passation mardi. «Il recevra d’ailleurs prochainement les organisations représentatives des magistrat afin d’engager un dialogue constructif et apaisé», ajoute-t-on dans son entourage.

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