Amazon voulait s’attaquer à la Suède, pourquoi il s’y casse les dents

Amazon voulait s'attaquer à la Suède, pourquoi il s'y casse les dents

L’arrivée d’Amazon dans le secteur de la vente en ligne en Suède en octobre dernier n’a pas manqué de susciter l’agitation, la spéculation et l’hilarité. Six mois plus tard, la chose la plus frappante concernant l’opération suédoise d’Amazon est le silence qui l’entoure.

Pour certains, l’impact discret de la société sur les vendeurs en ligne, les consommateurs et les pratiques de travail est révélateur de la force du marché du e-commerce établi et de la main-d’œuvre syndiquée du pays. Pour d’autres, ce silence est le calme inquiétant qui précède la tempête. Soit avant que l’impératif d’entreprise d’Amazon n’entre en collision avec les piliers fondamentaux de l’identité et de la culture suédoises.

Lors de son lancement, Amazon.se a annoncé une gamme de 150 millions de produits dans 30 catégories allant des livres aux jouets. Malheureusement pour le géant du e-commerce, dans les médias, l’agitation la plus forte autour du lancement d’Amazon en Suède a été à propos de la traduction inepte et plutôt grossière des produits de l’anglais au suédois. L’utilisation du drapeau argentin à la place du drapeau jaune-bleu de la Suède n’a pas aidé non plus.

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Une invasion ?

Si ces maladresses ont amusé les Suédois, la presse nationale de ce pays a consacré beaucoup de place aussi au débat sur la menace que représente Amazon. Certains commentateurs ont déclaré que le secteur de la vente au détail ne serait plus jamais le même. D’autres comparent l’arrivée d’Amazon à une invasion, craignant ses effets sur le commerce de détail suédois et les syndicats suédois. Les libraires, en particulier, s’inquiètent de la compression des prix et de l’intensification de la concurrence, même s’ils se sentent quelque peu rassurés par leur présence en ligne et leur clientèle.

En fait, la principale source d’optimisme était – et reste – le marché mature du commerce électronique en Suède. Les achats en ligne n’ont cessé de croître en Suède depuis le début des années 2000 : en 2012, plus de livres ont été vendus en ligne que dans les librairies physiques pour la première fois. En 2017, les ventes en ligne représentaient 15 % du chiffre d’affaires des biens de consommation durables. Et en 2019, 70 % des Suédois faisaient leurs achats en ligne. Et dans un 2020 frappé par la pandémie, le commerce électronique suédois a connu une croissance record de plus de 40 %. Amazon se bat donc pour sa place dans un écosystème en ligne hautement compétitif, et ses rivaux sont déjà habitués à opérer avec des marges bénéficiaires minces.

Le contraste est saisissant avec les débuts de l’achat en ligne en 1998, lorsqu’Amazon a été lancé en Grande-Bretagne et en Allemagne. Bien sûr, les acheteurs suédois pouvaient faire des achats sur ces places de marché Amazon avant octobre dernier, ce qui signifie que le géant du e-commerce avait déjà une petite présence dans le pays.

Amazon serait le plus grand détaillant en ligne en Suède d’ici 5 à 10 ans

“En 2019, nous avons estimé sa part du marché suédois du commerce électronique à environ 1%”, explique Johan Davidson, économiste en chef de la Fédération suédoise du commerce. “Jusqu’à présent, je ne pense pas qu’il y ait eu un changement significatif dans cette part de marché”.

Ce constat est corroboré par une enquête réalisée en mars auprès de 1 000 Suédois par Qvik, qui a révélé que 67 % d’entre eux n’avaient pas essayé de faire des achats sur Amazon, tandis que 16 % l’avaient essayé une fois avant de revenir à leurs e-commerçants traditionnels. En outre, 21 % avaient choisi de ne pas l’utiliser parce qu’ils le percevaient comme une menace pour les commerces locaux, ce qui donne une indication de la force de la bulle du commerce de détail nordique qu’Amazon espère faire éclater.

Et certains commentateurs affirment que, malgré un démarrage lent, Amazon pourrait bien y parvenir. En février, un rapport du Boston Consulting Group prévoyait qu’Amazon serait le plus grand détaillant en ligne en Suède d’ici 5 à 10 ans, citant son large éventail de produits et son expérience de l’optimisation de la livraison du dernier kilomètre dans d’autres pays.

Se préparer au lancement d’Amazon Prime en Suède

Les e-commerçants suédois se préparent également au lancement d’Amazon Prime. Que ce soit cette année ou l’année prochaine, l’arrivée de la livraison rapide les obligera à réévaluer leur logistique et à envisager de se battre sur d’autres critères que le prix. Pour un détaillant, cela pourrait consister à proposer une sélection de produits plus spécialisés. Pour une place de marché, cela pourrait être en favorisant des relations solides avec des vendeurs tiers.

Amazon lui-même semble satisfait de ses progrès et de ses perspectives en Suède. “Nous sommes vraiment satisfaits de nos premiers mois d’activité en Suède”, déclare un porte-parole d’Amazon, “et nous sommes optimistes quant à notre capacité à continuer d’améliorer et de développer l’expérience de nos clients suédois.”

D’autres experts sont plus sceptiques quant au potentiel d’expansion d’Amazon en Suède. “Je ne vois pas Amazon dominer le marché du commerce électronique en Suède à court ou à long terme”, déclare Arne Andersson, conseiller en commerce électronique chez Postnord.

Amazon : 4 % de part de marché en Australie

Andersson donne l’exemple de l’Australie : elle aussi avait un secteur de la vente en ligne bien développé lorsqu’Amazon s’est lancé en 2017, et la part de marché de l’entreprise n’y a atteint que 4 %. Au lieu de craindre l’arrivée d’Amazon, il affirme que “c’est une opportunité pour les entreprises suédoises d’en apprendre davantage sur le modèle économique de la vente sur ce type de plateformes.”

Pourtant, il est plus difficile de voir des signes positifs pour la culture du lieu de travail suédois. Environ 70 % de la main-d’œuvre suédoise appartiennent à un syndicat, et les conventions collectives sous-tendent les négociations entre employés et employeurs.

“Elles sont la norme dans le secteur du commerce électronique”, affirme Fritjof Carlsson-Brandt, secrétaire de Handels, le syndicat des employés de commerce.

Quelle est la place d’Amazon dans un pays où 70 % des salariés sont syndiqués

Actuellement, le personnel de l’entrepôt d’Amazon à Eskilstuna, à un peu plus d’une heure de route à l’ouest de Stockholm, dispose d’un tel accord avec le sous-traitant, la société de logistique allemande Kuehne Nagel. Mais si Amazon devait se développer avec ses propres entrepôts et son propre réseau de distribution, par exemple lors du lancement de Prime, alors son dédain pour la collaboration syndicale pourrait être une source de conflit.

“Nous n’avons eu aucune indication qu’Amazon serait prêt à travailler avec les syndicats suédois ou à signer une convention collective”, déclare Carlsson-Brandt.

Comme on pouvait s’y attendre dans une nation qui s’enorgueillit de son égalitarisme, la résistance du géant de la vente au détail à l’activité syndicale telle qu’elle se manifeste aux États-Unis a suscité un malaise bien au-delà des limites des organisations syndicales. En février, avant le vote syndical en Alabama, l’assureur suédois Folksam et le groupe financier Öhman ont adressé à Amazon une lettre signée par 76 investisseurs internationaux exigeant que l’entreprise respecte le droit de ses employés de se syndiquer.

Le mélange de crainte et d’opportunité qui entoure Amazon en Suède est emblématique de l’impact des multinationales expansionnistes sur les petits pays. Sa tentative d’éviter une nouvelle taxe sur l’électronique avant son lancement indique qu’elle se considère comme une exception. Pourtant, peut-être que la Suède, avec sa culture syndicale, sa bulle commerciale et ses idéaux nordiques, s’avérera à terme un défi exceptionnel pour Amazon.

Source : “ZDNet.com”

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