Afghanistan : le nouveau gouvernement taliban confronté à des manifestations persistantes – Le Monde

Les manifestations se poursuivent, mercredi 8 septembre, dans les grandes villes afghanes. La veille, les talibans ont présenté un gouvernement intérimaire composé exclusivement de membres du mouvement islamiste et sans femmes, tranchant avec leurs promesses d’ouverture.

A l’instar de ces derniers jours, des manifestations contre le régime ont eu lieu, mercredi, après la mort la veille de deux personnes à Herat, dans l’ouest du pays. Un petit rassemblement a rapidement été dispersé par les talibans à Kaboul, a constaté un journaliste de l’Agence France-Presse (AFP). La même chose s’est passée à Faizabad (nord-est), selon les médias locaux.

L’ex-président Ashraf Ghani, dont la fuite le 15 août a ouvert les portes de Kaboul et du pouvoir aux talibans, a présenté mercredi ses excuses : « Je regrette que mon mandat se soit terminé sur une tragédie similaire à celles de mes prédécesseurs, sans assurer la stabilité et la prospérité [de l’Afghanistan]. Je m’excuse auprès du peuple afghan pour ne pas avoir réussi à ce que les choses se finissent différemment. »

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De retour au pouvoir depuis la mi-août, deux décennies après avoir imposé un régime fondamentaliste et brutal (entre 1996 et 2001), les talibans ont annoncé, mardi, la composition d’un gouvernement qui n’a rien d’inclusif, contrairement à leurs engagements. En effet, tous les membres de ce gouvernement qui sera dirigé par Mohammad Hassan Akhund, un ancien proche collaborateur du fondateur du mouvement, le mollah Omar, mort en 2013, sont des talibans. En outre, presque tous appartiennent à l’ethnie pachtoune.

Des ministres qui figurent sur des listes de sanction de l’ONU

Le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, lors d’une conférence de presse à Kaboul, le 7 septembre 2021.

Plusieurs des nouveaux ministres, dont certains étaient déjà très influents lors du précédent régime taliban, figurent sur des listes de sanction de l’Organisation des Nations unies (ONU). Quatre sont passés par la prison américaine de Guantanamo. Le premier ministre, M. Akhund, est connu pour avoir approuvé la destruction, en 2001, des bouddhas géants de Bamiyan, dans le centre du pays, selon Bill Roggio, rédacteur en chef du Long War Journal.

Abdul Ghani Baradar, cofondateur du mouvement, devient vice-premier ministre et le mollah Mohammad Yaqoub, fils du mollah Omar, ministre de la défense. Le portefeuille de l’intérieur revient à Sirajuddin Haqqani, dirigeant du réseau du même nom, qualifié de terroriste par Washington et historiquement proche d’Al-Qaida.

En annonçant ce gouvernement, le porte-parole taliban, Zabihullah Mujahid, a affirmé qu’il n’était « pas complet » et que le mouvement essaierait d’inclure par la suite « des gens venant d’autres régions du pays ».

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Le gouvernement jugé ni « inclusif » ni « représentatif »

Mercredi, l’Union européenne (UE) a critiqué le gouvernement, le jugeant ni « inclusif » ni « représentatif » de la diversité ethnique et religieuse du pays. C’était « l’une des cinq conditions posées » pour que puissent s’établir des relations entre le bloc européen et le nouveau pouvoir afghan, a rappelé un porte-parole de l’UE.

« Les actes ne suivent pas les paroles », a déploré mercredi le ministère français des affaires étrangères, au vu de la composition du gouvernement intérimaire afghan. Pour la France, « les exigences de la communauté internationale (…) ne sont pas remplies », souligne dans un communiqué la porte-parole du ministère.

Les Etats-Unis ont quant à eux relevé l’absence de femmes et se sont dits « préoccupés » par « les affiliations et les antécédents de certains de ces individus », même s’ils jugeront « sur les actes ». Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, en visite sur la base américaine de Ramstein (Allemagne), a ainsi prévenu que les talibans devraient « gagner » leur légitimité auprès de la communauté internationale. Par ailleurs, M. Blinken a réaffirmé que les États-Unis faisaient « tout ce qui [était] en leur pouvoir » pour reprendre les vols d’évacuation. Lundi, les Etats-Unis avaient fait savoir que quatre Américains avaient pu être évacués par voie terrestre, sans opposition des talibans, qui avaient été mis au courant de l’opération. Il s’agissait alors des premières évacuations américaines de personnes depuis le retrait de l’armée le 31 août.

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Dans une interview exclusive à l’AFP enregistrée lundi, la vice-ministre des affaires étrangères qatarie, Lolwah Al-Khater, a estimé que les talibans devaient être jugés sur leurs actes, tout en soulignant qu’ils avaient fait preuve jusqu’ici de « pragmatisme ». La Chine, voisine de l’Afghanistan, a, elle, salué la composition du gouvernement intérimaire, une mesure qui met fin selon Pékin à « trois semaines d’anarchie » dans le pays.

Depuis leur prise du pouvoir, les talibans n’ont cessé d’affirmer qu’ils avaient changé. Mais leurs promesses peinent à convaincre. Le retour du ministère pour la promotion de la vertu et la répression du vice, qui faisait régner la terreur dans les années 1990, devrait ainsi susciter bien des inquiétudes dans la population.

« Tous les Afghans, sans distinction ni exception, auront le droit de vivre dans la dignité et la paix dans leur propre pays », a affirmé, mardi, le chef suprême des talibans, Haibatullah Akhundzada, resté silencieux jusque-là, sans toutefois jamais mentionner le mot « femmes ». Il a invité le nouveau gouvernement à « faire respecter la charia » et à tout faire pour « éradiquer la pauvreté et le chômage ». Ravagée par des décennies de conflit, l’économie afghane est en lambeaux, privée d’une aide internationale dont elle dépend et qui a été largement gelée.

Des manifestations inédites

Depuis quelques jours, les talibans sont confrontés à un défi nouveau pour eux avec ces manifestations qui montrent combien la société afghane s’est libéralisée en vingt ans. Pour la première fois, mardi, elles ont pris un tour mortel à Herat, où deux personnes ont été tuées et huit blessées par balle, selon un médecin local.

M. Mujahid a qualifié ces manifestations d’« illégales » tant que « les lois [n’étaient] pas proclamées », et demandé aux médias de « ne pas [les] couvrir ». Des coups de feu ont aussi été tirés en l’air, mardi à Kaboul, pour disperser des manifestants qui dénonçaient la répression des talibans dans le Panchir, où un mouvement de résistance s’est dressé contre eux, et l’ingérence supposée du Pakistan dans les affaires afghanes.

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La rébellion dans la vallée du Panchir, bastion opposé aux talibans de longue date, est menée par le Front national de résistance (FNR) et son chef, Ahmad Massoud, fils du célèbre commandant Ahmed Chah Massoud, assassiné en 2001 par Al-Qaida. Lundi, les talibans ont proclamé en avoir pris le contrôle et prévenu que toute nouvelle tentative d’insurrection serait « durement réprimée ».

Mais le FNR a assuré continuer la lutte. Il a jugé le gouvernement taliban « illégitime » et formera bientôt le sien, après avoir consulté d’« importantes personnalités afghanes ». « Le récit autour du taliban moderne est terminé, il n’y a pas un taliban qui soit en faveur d’un gouvernement inclusif », a réagi auprès de l’AFP Ali Maisam Nazary, porte-parole du FNR.

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Le Monde

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