Affaire Mila : liberté de conscience, blasphème, injures… Ce que dit la loi – Le Parisien

Près de trois semaines après le début de la polémique, les propos de Mila insultant l’islam continuent d’agiter la sphère politique.

Croulant sous des milliers de messages d’insultes et de menaces d’internautes, l’adolescente a dû être déscolarisée et mettre sa vie « clairement en pause » comme elle l’a expliqué, lundi, sur le plateau de Quotidien sur TMC. Selon les déclarations de Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur, ce mardi, l’adolescente et sa famille sont « protégées par la police ».

L’affaire avait pris une nouvelle dimension, mercredi, après les propos de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, soutenant au micro d’Europe 1 que « l’insulte à la religion était évidemment une atteinte à la liberté de conscience ». Une expression que la garde de Sceaux a elle-même tenté de corriger, la qualifiant de « maladroite », après un déluge de condamnations.

« L’insulte à la religion n’existe pas »

Si les responsables politiques se montrent toujours divisés sur l’affaire Mila, les propos de l’adolescente de 16 ans ne font toutefois l’objet d’« aucune ambiguïté » aux yeux de la loi, assure Gwénaële Calvès, professeure de droit public à l’Université de Cergy-Pontoise, jointe par téléphone.

« La ministre a fait une confusion totale : en droit français, l’insulte à la religion n’existe pas », résume la juriste. « En clair, il est possible de critiquer et d’insulter une religion, comme Michel Houellebecq l’avait fait en 2001 en affirmant que l’islam était la religion la plus con du monde. Mais il reste interdit d’insulter les adeptes d’une religion », nuance-t-elle.

La liberté d’expression a un cadre

L’article 24 de la loi Pleven (1974) qui amende la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse – valable pour la liberté d’expression – pose des limites à la liberté d’expression. Il dispose que « ceux qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement ».

Toute critique n’est toutefois pas une incitation à la haine. C’est d’ailleurs en ce sens que le parquet de Vienne a classé sans suite, l’enquête visant l’adolescente pour « provocation à la haine raciale ».

Dans son communiqué, le parquet rappelait, jeudi, que « les propos diffusés, quelle que soit leur tonalité outrageante, avaient pour seul objet d’exprimer une opinion personnelle à l’égard d’une religion, sans volonté d’exhorter à la haine ou à la violence contre des individus […] ».

Mais que dire alors de ceux qui ont vu à travers les propos de Mila un délit de blasphème ? Pour reprendre la définition du Larousse, le blasphème correspond à une « parole ou un acte qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré ».

« Le blasphème n’existe que pour les religieux »

« Tout comme la profanation, le blasphème n’existe que pour les religieux », rappelle Gwénaële Calvès. Le droit français étant « areligieux », cette expression relève non pas d’un droit, mais de la liberté d’expression. « Pour vous donner un exemple, si je fais cuire des hosties, un catholique le verra comme une profanation, mais moi je ne le verrais que comme une liberté d’expression ».

En France, le délit de blasphème ne constitue plus une infraction depuis son abrogation dans la loi du 29 juillet 1881. « Jusqu’à cette date, il existait un délit d’offense à la morale religieuse. Les Fleurs du mal de Baudelaire avait d’ailleurs fait l’objet d’un procès », précise Gwénaële Calvès.

Si le délit de blasphème n’existe plus en France, il reste présent dans certains pays. En Autriche, l’article 188 du Code pénal condamne « celui qui ouvertement humilie ou ridiculise une personne, un objet de culte d’une Église existant dans le pays, un dogme religieux, une coutume autorisée par la loi ou un usage de telle Église ou société religieuse […] ».

De même la Pologne sanctionne pénalement le « recours à la calomnie publique d’un objet de croyance ».

Liberté de conscience

Autre erreur commise par la ministre, sa référence à la liberté de conscience qui « n’a rien à voir avec la liberté d’expression », analyse Anastasia Colosimo, spécialiste du droit constitutionnel contactée par Le Parisien. « La liberté de conscience correspond à la liberté de croire ou de ne pas croire. Elle n’a donc aucun rapport avec l’expression d’une haine ».

Pour la juriste, cette « confusion très grave » est révélatrice d’une « forme de malaise extrêmement présent » autour de la laïcité dans notre société. « La religion est devenue extrêmement taboue en France. Tout comme la laïcité qui est un sujet de crispations récurrentes. Ces tensions expliquent la méconnaissance qui entoure ces questions… Mais de là à ce que même une garde des Sceaux s’emmêle les pinceaux, cela n’a rien de rassurant », conclut Anastasia Colosimo.

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