Affaire Grégory : nouvelles auditions, expertise incriminante… l’enquête est relancée – Le Parisien

La justice n’a toujours pas perdu espoir de confondre le ou les meurtriers du petit Grégory Villemin. Trente-six ans après l’enlèvement de ce garçon de quatre ans et sa mise à mort barbare dans les eaux glacées de la Vologne (Vosges), l’enquête est officiellement relancée.

Selon plusieurs sources concordantes, le nouveau magistrat en charge du dossier, le président de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Dijon (Côte-d’Or) Dominique Brault, a mené au début du mois de décembre une série d’auditions de témoins. Il s’agit de protagonistes ayant évolué dans les Vosges au moment des faits en 1984, dans l’entourage familial ou de voisinage de l’enfant.

« Les investigations ont repris et avancent. Des actes d’enquête ont été menés », nous confirme sobrement le nouveau procureur général de Dijon, Thierry Pocquet du Haut-Jussé, qui aura quant à lui la délicate tâche de représenter l’accusation. Légitime quête de vérité ou entêtement insensé après trop d’errements judiciaires ?

La plus célèbre des affaires criminelles françaises, jalonnée de nombreux drames et de rebondissements en près de quarante ans, avait pris une nouvelle orientation à l’été 2017 avec les mises en examen des époux Jacob – grand-oncle et grand-tante de Grégory – et de Murielle Bolle, sur la foi d’expertises en écritures et d’analyses criminelles. La thèse retenue était alors celle d’un « crime collectif familial » motivé par la jalousie envers la réussite sociale des parents de Grégory. Et l’espoir d’un procès avait alors jailli.

Mais le dossier avait finalement dû être mis en pause après les nombreux recours juridiques déposés par la défense. Les mises en examen des trois suspects avaient d’abord été annulées en mai 2018 pour des raisons de forme. Puis, en janvier dernier, une partie des déclarations tenues par Murielle Bolle lors de sa première garde à vue en 1984 avait également été annulée par la cour d’appel de Paris au motif que celle-ci, alors adolescente, avait été entendue par les gendarmes sans la présence d’un avocat ou de ses parents.

« Il y aura de nouvelles mises en examen, c’est certain »

Ce procès-verbal était une pièce maîtresse de l’accusation, puisque Murielle Bolle avait accusé Bernard Laroche, cousin du père de Grégory, d’avoir enlevé l’enfant avant de se rétracter quelques jours plus tard. Un revirement que l’accusation estime insincère et uniquement liée à des pressions familiales ; au contraire, elle privilégie désormais le scénario d’un rapt commis par Bernard Laroche et une remise de l’enfant par celui-ci aux époux Jacob. L’annulation de cet acte devrait néanmoins avoir des conséquences limitées pour la suite des investigations, puisque Murielle Bolle avait réitéré ses accusations devant le juge d’instruction de l’époque et ce procès-verbal n’a pas été annulé.

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Les magistrats et les gendarmes de la section de recherches de Dijon attendaient impatiemment que ces points de droit soient purgés avant de reprendre l’enquête. C’est désormais chose faite et plus rien ne s’oppose à ce que des suspects soient mis en cause. D’où les nouveaux actes d’enquête de ces dernières semaines. « Il y aura de nouvelles mises en examen, c’est certain », croit savoir une source qui a travaillé sur l’enquête. « Le juge Brault aspire à travailler dans la discrétion mais il est très accrocheur », ajoute une autre source proche du dossier.

À ce stade, les époux Jacob et Murielle Bolle ne font pas partie des personnes entendues par le nouveau juge en charge de l’instruction. Il ne s’agit pas d’auditions de suspects mais de témoins. De nouvelles auditions sont programmées, notamment d’enquêteurs ou de journalistes ayant travaillé sur l’affaire.

La « stylométrie » à la rescousse

D’après nos informations, un autre élément capital est attendu dans les prochaines semaines : le versement à la procédure d’une expertise novatrice commandée discrètement par la précédente magistrate instructrice il y a maintenant près de trois ans et qui incrimine un suspect. Il s’agit d’une expertise « en stylométrie » confiée à une entreprise suisse spécialisée dans l’analyse de textes et la détection de plagiats.

Elle vise à démasquer le ou les corbeaux qui avaient menacé les parents de Grégory et revendiqué l’assassinat en comparant les courriers menaçants envoyés anonymement entre 1983 et 1984 avec des textes rédigés par différents protagonistes de l’affaire : suspects, proches, membres de la famille… Ces textes avaient été rédigés à la main par ces derniers dans des contextes ordinaires et avaient été saisis lors de perquisitions ou à la demande de la justice.

Le corbeau fait partie des personnes soumises à l’expertise

Selon des sources concordantes, les résultats des comparaisons ont permis d’attribuer des courriers du mystérieux corbeau à une personne soumise à l’expertise. Concrètement, le logiciel de l’entreprise anti-plagiat, qui fait usage d’algorithmes spécialement élaborés, a analysé les différents textes en faisant des rapprochements dans le style, la tournure des phrases, la syntaxe, la ponctuation et a permis d’authentifier un auteur commun entre des lettres de menaces et des courriers témoins. « Si la paternité textuelle peut être déterminée par des méthodes sémantiques ou syntaxiques, des études linguistiques montrent que l’analyse de la syntaxe est la plus performante pour déterminer l’auteur d’un texte », explique l’entreprise suisse sur son site.

Affaire Grégory : nouvelles auditions, expertise incriminante… l’enquête est relancée

Le rapport technique de cette expertise, qui a coûté au total plus de 30 000 €, a été remis à la justice et doit encore faire l’objet d’une traduction en langage judiciaire. Elle pourrait avoir des conséquences sur les suites des investigations. En 2017, des expertises en écriture — fondées cette fois-ci sur la graphie des lettres — avaient permis d’attribuer une partie des courriers du corbeau à Jacqueline Jacob. La grand-tante de Grégory a, elle, toujours nié sa participation au meurtre, de même que son époux.

« C’est de la fumisterie »

Avant même de connaître le contenu de ce rapport, les avocats des époux Jacob, qui ne sont plus mis en examen, fustigent son bien-fondé. « Cette expertise a coûté très cher pour passer quelques feuilles au scanner, égratigne Me Alexandre Bouthier, l’avocat de Jacqueline Jacob. Et on voudrait nous faire croire que les Suisses, avec leur régularité et leur ponctualité, ne l’avaient pas déjà remis en temps et en heure, c’est-à-dire il y a trois ans ! Affirmer que c’est un élément nouveau, c’est se moquer du monde. » Son confrère Me Stéphane Giuranna, qui défend lui Marcel Jacob, dénonce pour sa part la méthodologie de cette expertise en stylométrie. « C’est de la fumisterie, s’emporte le pénaliste. On se fout de nous et, manifestement, la justice n’apprend pas de ses erreurs. En comparant les écrits de gens qui habitent dans le même secteur géographique restreint, qui ont le même âge, qui ont fréquenté les mêmes établissements scolaires et qui partagent la même origine sociale, on va évidemment tomber sur des gens qui ont, peu ou prou, le même style et la même syntaxe que le corbeau. Tout ceci commence à devenir ridicule. »

« Les investigations ont repris dans cette affaire, et je reste confiant quant aux résultats concrets et effectifs des investigations, salue l’avocat historique des parents de Grégory, Me Thierry Moser. Mais il faut encore s’armer de patience. » « Seules des preuves scientifiques incontestables pourraient être utilisées pour accuser je ne sais quelle personne », juge de son côté Me Gérard Welzer, l’avocat historique de Bernard Laroche, assassiné en 1985 par le père de Grégory, et désormais conseil de sa veuve, Marie-Ange Laroche, qui n’a jamais été entendue depuis 2017. « Dans ce dossier, Grégory Villemin est la première victime, rappelle Me Welzer. Bernard Laroche, innocenté puis assassiné, la deuxième. Le juge Lambert, qui s’est suicidé en 2017, la troisième. Je souhaite que ces nouvelles investigations n’entraînent pas de nouvelles victimes. »

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