Affaire Fourniret : comment les enquêteurs sont engagés dans une course avec celui qui “restera le maître du t – franceinfo

Il a été retrouvé sur le sol de sa cellule dans la prison de Fresnes (Val-de-Marne), le 20 novembre, et hospitalisé dans la foulée. Le tueur en série Michel Fourniret a quitté le service de réanimation du centre hospitalier Henri Mondor de Créteil, conscient, pour être transféré vendredi 4 décembre à l’unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) de Paris, a appris franceinfo de source proche du dossier. “L’ogre des Ardennes” souffrirait également d’une maladie de type Alzheimer. Pourtant, à 78 ans, il n’a pas fini de livrer tous ses macabres secrets. Condamné à la perpétuité en 2008 pour les meurtres de sept jeunes femmes et adolescentes, il est toujours mis en examen pour les disparitions et meurtres de Marie-Angèle Domece et Joanna Parrish, et, depuis novembre 2019, pour la mort d’Estelle Mouzin, qu’il a finalement avoué avoir tuée. Il a révélé un lieu précis où se trouverait le corps de la fillette, disparue en 2003. C’est à cet endroit, situé au cœur des Ardennes, que la juge d’instruction Sabine Kheris, qui a repris le dossier en 2019, a prévu de se rendre, lundi 7 décembre, pour de nouvelles fouilles.

Car le temps presse. Cette course contre la montre est une préoccupation majeure pour Sabine Kheris, qui souhaite clore les investigations au plus vite. La doyenne des juges d’instruction de Paris donne la cadence au dossier Estelle Mouzin comme un maître des horloges. “Pas un jour ne passe sans qu’elle n’y travaille. Pour la première fois, une enquête est menée sur un tueur en série comme elle devrait toujours l’être. On a enfin trouvé quelqu’un à la hauteur”, loue Didier Seban, qui représente, avec sa consœur Corinne Herrmann, les familles de Marie-Angèle Domece, Joanna Parrish, Estelle Mouzin et Lydie Logé, disparue en 1993 dans l’Orne – affaire pour laquelle Michel Fourniret est également soupçonné. L’avocat salue aussi le travail des greffières de Sabine Kheris, dont l’une “est entièrement dédiée” aux affaires dans lesquelles Michel Fourniret est suspecté. “Elle a la même greffière depuis dix ans. C’est un véritable atout. Elles forment un tandem comme on en voit dans les séries, Engrenages, par exemple”, abonde Jean-Michel Hayat, haut magistrat.

“Sabine Kheris est discrète. C’est une juge d’instruction plutôt classique, à l’ancienne, avec beaucoup de patience et de tenacité”, complète Jean-Michel Hayat, qui l’a connue au pôle instruction de Nanterre (Hauts-de-Seine). Le magistrat, actuellement Premier président de la cour d’appel de Paris, lui a confié l’affaire Mouzin en juillet 2019, après le dépaysement du dossier. “Elle a une approche pragmatique, le goût et la passion des affaires criminelles”, décrit-il. A ses yeux, ce ne sont pas les problèmes de santé de Michel Fourniret qui empêcheront la magistrate de 55 ans de mener sa barque comme elle le souhaite. “Son calendrier est bouleversé. Mais l’expérience fait qu’on sait s’adapter à ce type de difficultés. Cela l’amènera à réfléchir à un autre agencement. Un juge d’instruction a toujours une stratégie”, estime Jean-Michel Hayat. Parmi les atouts dans sa manche : le “contact très riche, nourri”, qu’elle entretient au quotidien avec les enquêteurs.

Dans le dossier Estelle Mouzin, la juge travaille principalement avec la section de recherches de la gendarmerie de Dijon (Côte-d’Or), pour lequel un directeur d’enquêtes et un directeur des opérations ont été nommés. En cas de déplacement, les officiers de police judiciaire (OPJ) du département se mobilisent aussi, comme lors des fouilles dans les Ardennes. En outre, l‘Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) et des techniciens d’identification se déplacent. Car pour éclairer le passé, Sabine Kheris a recours aux analyses ADN.

Michel Fourniret photographié le 28 octobre 2020, lors de son arrivée à la reconstitution, à Charleville-Mézières (Ardennes). (FRANCOIS NASCIMBENI / AFP)

L’heure tourne, la juge priorise l’action et déploie les grands moyens. Le 12 novembre, elle a demandé à la gendarmerie nationale de lancer un appel à témoins, dans l’espoir d’obtenir de nouvelles informations sur des “enquêtes judiciaires en cours” pouvant impliquer Michel Fourniret et son ex-épouse Monique Olivier.

Pour les fouilles, elle fait, par exemple, appel aux services d’un archéologue, utilise un drone et requiert la présence de l’armée. “Ce sont des moyens extraordinaires, qui montrent une volonté de rattraper le temps perdu, souligne l’avocat Didier Seban. La piste Fourniret avait été étudiée dans l’enquête sur la disparition d’Estelle Mouzin, dès son arrestation, en juin 2003, mais les enquêteurs avaient mis le tueur en série hors de cause quatre ans plus tard. L’une des affaires les plus énigmatiques de France connaît une accélération à l’automne 2019, après des années dans l’impasse.

Ces rebondissements interviennent alors que la santé du pédocriminel décline. Le criminel vieillit et l’espoir de connaître toute la vérité sur les meurtres qu’il a commis s’amenuise. Une course contre la montre qui n’est pas nouvelle, assure un enquêteur. “Michel Fourniret n’est plus sain de corps et d’esprit depuis un moment”, relève celui qui a constaté, depuis deux à trois ans, “des pertes de mémoire” chez le tueur en série, au cours d’auditions.

“A certains moments il est absent, à d’autres il est lucide. Il donne parfois l’impression d’être en dehors du temps, comme une personne âgée. On le traite comme tel, mais en étant conscient qu’il peut manipuler. Il faut être vigilant avec lui.”

un enquêteur

à franceinfo

De fait, pour interroger ce prédateur sexuel, obsédé par la virginité de ses victimes, il faut entrer dans son monde. Ne pas venir à lui avec des questions, mais avec des affirmations, afin d’obtenir des confirmations. “Il doit être confronté à l’évidence pour passer à table. C’était un joueur d’échecs. Il joue, comme un chat avec une souris”, corroborait en 2018 à franceinfo Luc Balleux, son ancien avocat belge. Jusqu’ici, la juge Sabine Kheris, qui s’est plongée dans son univers, notamment en relisant tout Dostoïevski, l’auteur favori du criminel, y parvient. “Jouer avec un partenaire tel que vous, ça en vaut la peine”, l’a complimentée Michel Fourniret en novembre 2019, quand elle l’interrogeait pour la première fois dans l’affaire Mouzin.

Mais jusqu’à quand ? “Quand je l’ai vu, son état de santé était légèrement détérioré, mais il avait encore la capacité à emmener dans des voies sans issue. Il conservait puissance et maîtrise”, expose le psychologue Jean-Luc Ployé, qui a expertisé pour la troisième fois Michel Fourniret en août 2018, trois mois avant son procès pour l’assassinat, en avril 1988, de Farida Hammiche. Aujourd’hui, difficile de savoir jusqu’à quel point il est cohérent, s’il ne mélange pas les faits entre eux. “L’image de lui-même dégradé mentalement doit être difficile à supporter dans ses moments de lucidité. Il faut le surveiller et aller extrêmement vite : le temps est compté”, évalue Jean-Luc Ployé.

Dans ce cas, l’expertise médicale est déterminante : elle permet de connaître précisément l’état de santé du mis en examen, dans quelles conditions et dans quelle mesure on va pouvoir l’interroger tout en préservant sa dignité. “On ne va pas forcer la main. Il faut être sûr qu’il est apte à être entendu”, indique Yves Charpenel. Cet ancien procureur général, en poste à la cour d’appel de Reims en juin 2003, quand Michel Fourniret fut arrêté en Belgique, présume qu’une “expertise médicale doit être quotidienne en ce moment” pour le tueur en série. Mais quelles que soient ses conclusions, l’enquête, elle, se poursuit.

Or, pendant des fouilles, la présence de Michel Fourniret est déterminante. “Sur place, le jeu continue : il faut être précis pour qu’il donne le change”, se souvient Yves Charpenel. Le magistrat avait assisté, en 2004, à la découverte des corps d’Elisabeth Brichet et de Jeanne-Marie Desramault, au château du Sautou, la majestueuse propriété ardennaise du couple Fourniret, acquise grâce au trésor du “gang des postiches”. “A l’époque, il était impliqué et coopératif. Il ne désignait pas un point GPS, mais un endroit suffisamment précis pour creuser 10 cm par 10 cm avec une pelleteuse et finir à la pioche”, se remémore une source policière, également sur place.

Le château du Sautou, qui appartenait à Michel Fourniret, près de Ville-sur-Lumes (Ardennes), le 27 octobre 2020. (FRANCOIS NASCIMBENI / AFP)

Qu’en est-il seize ans plus tard ? Les indications de Michel Fourniret sont-elles suffisantes pour espérer retrouver la dépouille d’Estelle Mouzin ? 

“Même s’il veut aller vite, un juge d’instruction a des contraintes qui s’imposent à lui. C’est tout le problème des affaires froides, les ‘cold cases’ : par définition elles ont un certain âge. L’organisation de l’enquête prend du temps et coûte de l’argent, et pendant ce temps, le mis en cause vieillit.”

Jacques Dallest, procureur général près la cour d’appel de Grenoble

à franceinfo

Membre d’un groupe de travail sur les affaires non élucidées, il plaide, à ce titre, pour instaurer “une mémoire criminelle des affaires” dans les tribunaux. “En matière judiciaire, le temps qui passe est un ennemi.” Si Michel Fourniret ne peut plus parler, s’il n’a plus de mémoire, ou s’il meurt dans les mois à venir, il ne pourra pas être jugé.

“Les familles n’auront peut-être jamais un procès, s’indigne Didier Seban, en colère. Le risque lié à sa santé, on n’a pas arrêté de le souligner.” L’avocat espère encore que les comparaisons de la dizaine d’ADN isolés sur un matelas du tueur des Ardennes permettront à certaines affaires d’être résolues. “Malheureusement, elles ne le seront pas toutes. On devrait en tirer les conséquences”, martèle-t-il. D’autant plus que dans la carrière criminelle de Michel Fourniret, il y a une “période blanche” : hormis Lydie Logé, il n’est mis en cause pour aucun enlèvement ni assassinat dans les années 1990. Or, les enquêteurs ont la conviction qu’il n’a pas pu s’arrêter au cours de cette période. Encore faut-il des éléments objectifs pour le prouver. “S’il arrive malheur à Michel Fourniret, on demandera à ce que les investigations soient poursuivies. Car Monique Olivier est là et elle est en bonne forme”, pointe Didier Seban.

Monique Olivier, l’ex-femme du tueur en série, condamnée elle aussi en 2008. La complice qui intervient pour piéger les jeunes filles, violées puis tuées. La femme avec laquelle il a conclu un pacte diabolique. Celle qui s’est confiée à Sabine Kheris sur la mort d’Estelle Mouzin. Car avant d’obtenir des aveux de Michel Fourniret, la juge a recueilli les premières révélations de Monique Olivier. Elle l’a à nouveau entendue, vendredi, pour obtenir d’éventuels éléments sur le lieu où aurait pu être enterrée la fillette, a indiqué à l’AFP son avocat, Me Richard Delgenes. “Sabine Kheris l’a intégrée dans ses interrogatoires, c’est pertinent. Ce couple fonctionne comme deux muscles en synergie, l’un alimente l’autre. Mais pour cela, il faut être deux”, observe Jean-Luc Ployé. Le psychologue n’est pas “persuadé” que Monique Olivier apporte toutes les réponses. “Pour ses derniers crimes, il partait seul à la chasse, comme il le dit. C’est lui qui a encore toutes les clés, analyse l’expert. Il restera le maître du temps jusqu’à sa mort. Il est tellement orgueilleux qu’il est assez probable qu’il emporte des secrets dans sa tombe.”

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