Affaire Dupont de Ligonnès : et si les médias n’étaient pas seuls responsables du fiasco… médiatique ?

Nous sommes comme ça, nous adorons détester nos médias. Même si nous passons une partie de nos journées à les consulter frénétiquement, que ce soit via les réseaux sociaux, à la télé, ou par d’autres canaux.

Il suffit pourtant d’un petit grain de sable pour que la machine s’enraye, ou s’emballe, ou les deux. L’affaire de la fausse arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès vendredi dernier en est l’un des derniers symptômes, mais il aura probablement marqué le public et les rédactions à tel point qu’il y aura certainement un avant et un après, comme – toutes proportions gardée, on est bien d’accord – après la terrible confusion autour des charniers de Timisoara à la fin des années 80, dont les médias déjà à l’époque ne sortirent pas grandis, alors qu’internet n’existait pas.

Depuis samedi, et la révélation du fait que le suspect arrêté à Glasgow n’avait rien à voir avec le coupable du massacre familial de Nantes, c’est la curée contre les médias, Le Parisien en tête, mais aussi les chaines d’information en continu, cibles faciles s’il en est.

Mais est-ce réellement justifié cette fois ? Pas sûr. Voyons pourquoi.

Attention, cet article et cette vidéo ne constituent pas une défense et illustration des médias français, juste une tentative de raisonner avec un peu de recul.

Que s’est -il passé exactement ? Voici le résumé du fil des évènements.

Vendredi soir à 20h40, Le Parisien publie un article intitulé « Xavier Dupont de Ligonnès : comment les policiers ont retrouvé sa trace ». La source : un appel anonyme en provenance de Londres. Les rédactions, qui ont eu les mêmes informations, embrayent. Selon ces dernières, les plus hautes autorités de la police confirment à 100% qu’il s’agit bien de Xavier Dupont de Ligonnès. Elles s’appuient sur les propos de leurs homologues écossais, qu’elles citent.

  1. selon les policiers écossais, les empreintes digitales correspondent bien à celles de la fiche Interpol
  2. les premiers marqueurs ADN semblent correspondre
  3. A 21h01, l’Agence France Presse confirme l’information « selon une source proche de l’enquête ». A 21h27, l’AFP précise que « les empreintes correspondent », selon « des sources françaises proches de l’enquête, qui citent elles-mêmes la police écossaise ».

Mais à 23 heures vendredi, patatras, premiers doutes : à Limay dans les Yvelines, le village où réside le « suspect », l’enquête de voisinage fait apparaitre de sérieuses questions, puisque la plupart des témoins interrogés sur place affirment sans l’ombre d’une hésitation que la personne arrêtée n’a rien avoir avec Ligonnès, et que c’est un voisin et ami depuis bien avant 2011, date des faits.

Samedi matin, cela ne s’arrange pas : les empreintes ne correspondent pas et le test ADN est négatif.

L’annonce a finalement été formellement démentie samedi à midi. L’ADN atteste que la personne interpellée n’est pas le suspect, mais un homme plus âgé partageant sa vie entre Limay (Yvelines) et l’Ecosse.

Depuis, c’est la curée à l’encontre des médias.

Pourtant, de mon point de vue, les médias ne sont pas entièrement responsables de ce fiasco. Ils ont vérifié les sources, qui venaient de personnes haut placées dans la police. La police française a elle-même été induite en erreur par la police écossaise. On voudrait discréditer la police française qu’on ne s’y prendrait pas mieux.

En fait, l’info est sortie trop vite, alors que les vérifications policières étaient encore en cours, et on ne sait pas trop par quel canal. De fait, c’est un peu facile de crier haro sur les médias, alors que nous avons tous suivi les chaines d’info en continu vendredi soir comme des morts de faim, et que nombre d’entre nous ont relayé cette info sur les réseaux sociaux (pas moi, j’ai appris à être prudent, mais j’aurais pu).

Que faut-il en déduire ?

  • Que la soif du scoop et de la peur de rater l’info de l’année met les médias sous pression
  • Que la vérification de l’information est elle-même mise en question si des sources réputées fiables ne le sont pas
  • Qu’un simple plaisantin anonyme peut mettre en alerte toutes les polices du monde
  • Que nous sommes autant responsables de cet emballement médiatique

Je ne me sens aucune espèce de confraternité avec Le Parisien ou BFMTV, bien sûr qu’il y a eu un gros #fail, mais en les critiquant, c’est aussi notre propre examen de conscience et notre auto-critique qu’il faut faire, car si les médias sont devenus ce qu’ils sont c’est aussi de notre faute, et notre responsabilité : dictature du scoop, de l’émotion et de l’immédiateté.

Au passage, une petite pensée émue pour TF1, l’un des rares médias qui n’était pas sur le coup, mais qui en a quand même subi les conséquences d’une autre manière, avec probablement une bonne fuite d’audience…

Je développe mon point de vue avec d’autres arguments en complément dans cette vidéo.

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