Affaire Dupond-Moretti : pourquoi la Cour de Justice de la République est-elle une instance si controversée ? – franceinfo

Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti est entendu à partir de 9 heures ce matin par les juges de la Cour de Justice de la République (CJR) en vue d’une vraisemblable mise en examen. Le ministre de la Justice est convoqué dans le cadre de l’enquête ouverte après les plaintes de deux syndicats de magistrats et de l’association anti-corruption ANTICOR sur de possibles conflits d’intérêts. Eric Dupond-Moretti est soupçonné d’avoir profité de ses fonctions de Garde des Sceaux pour régler des comptes dans des dossiers dans lesquels il avait été impliqué en tant qu’avocat auparavant.

Cette Cour de Justice qui se retrouve là en première ligne est en fait la seule juridiction habilitée à juger des membres du gouvernement pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions. Elle a été créée en 1993, après le scandale du sang contaminé. Jusqu’à 1993, seul le Parlement avait la faculté d’engager des poursuites à l’encontre des membres du gouvernement devant ce qui s’appelait la Haute Cour de justice. Celle-ci devait être saisie après le vote d’un texte identique dans les deux assemblées. Elle était de fait très rarement convoquée.

Pourtant la CJR a été dès le début accusée de rendre une justice d’exception. Les ministres – dans l’exercice de leurs fonctions – sont en effet jugés par cette formation composée de trois magistrats de la cour de cassation, six députés et six sénateurs, tandis que les collaborateurs des ministres doivent quant à eux répondre de leurs actes dans les mêmes dossiers devant des tribunaux ordinaires. Le symbole d’une Justice à deux vitesses, donc.

Mais cette juridiction est aussi contestée pour ses délais de jugement. En janvier dernier, Edouard Balladur et son ex-ministre de la Défense François Léotard ont par exemple été jugés pour des soupçons de financement illégal de la campagne électorale présidentielle 1995, l’un des chapitres de ce qu’on a appelé l’affaire Karachi, soit après 25 années d’instruction.

Enfin, les condamnations faibles et les dispenses de peine, comme celle de Christine Lagarde pourtant reconnue en 2016 coupable de négligence dans le dossier d’arbitrage favorable à Bernard Tapie huit ans plus tôt, n’ont pas aidé la CJR à se donner dans l’opinion l’étoffe d’une véritable juridiction impartiale, capable de sanctionner les coupables.

Lors de la campagne présidentielle de 2012, François Hollande avait promis de faire voter une loi supprimant la Cour de Justice de la République. “Les ministres sont des citoyens comme les autres, ils seront donc soumis aux juridictions de droit commun“, avait lancé le candidat socialiste. Mais le projet de loi constitutionnelle qui prévoyait cette suppression a finalement été abandonné au cours de son quinquennat.

En campagne en 2017, Emmanuel Macron promettait à son tour la suppression de cette juridiction. Dans le projet de loi constitutionnelle “pour un renouveau de la vie démocratique” présenté en Conseil des ministres en août 2019, la suppression de la Cour de justice de la République a été de nouveau avancée avec l’idée de faire juger les membres du gouvernement plutôt par la Cour d’appel de Paris. Mais là encore, la proposition n’a pas abouti.

Aujourd’hui, il n’est pas évident d’envisager la disparition de cette Cour de Justice de la République alors qu’elle a sur le feu deux gros dossiers suivis de près par la presse et les citoyens. Outre le dossier sur les soupçons de conflits d’intérêts qui pèsent sur Eric Dupond-Moretti, la CJR travaille depuis un an sur la question de la gestion de la crise sanitaire. Une information judiciaire vise ainsi l’ex-Premier ministre Edouard Philippe, l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn et l’actuel ministre de la Santé Olivier Véran, après le dépôt de plus de 80 plaintes par des particuliers, des syndicats et un collectif de médecins.

Deux autres ex-ministres attendent toujours que la Cour de Justice de la République statue sur leur sort : Eric Woerth, soupçonné en tant que ministre du Budget de Nicolas Sarkozy d’avoir accordé une ristourne fiscale à Bernard Tapie, et Kader Arif, secrétaire d’état aux anciens combattants de François Hollande, accusé d’avoir favorisé l’entreprise de son frère pour un marché publique de “media training” à hauteur de 60 000 euros.

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