Administration: un rapport parlementaire prône le recours systématique au logiciel libre

 

Image: Pixabay

Créée en juillet 2020 par l’Assemblée nationale, la mission d’information «Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne», dont le rapporteur est le député Philippe Latombe (MoDem), a rendu son rapport le 12 juillet. De nombreux aspects de ce rapport méritent l’attention, mais sous l’angle qui concerne plus particulièrement ce blog, relevons sa proposition n° 52: «Imposer au sein de l’administration le recours systématique au logiciel libre, en faisant de l’utilisation de solutions propriétaires une exception.»

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«Des choix ambitieux»

Le rapport Latombe souligne «une ambition de souveraineté qui implique des choix ambitieux», et rappelle trois textes de 2012, 2016 et 2021:

«Le recours au logiciel libre au sein des administrations publiques doit être fortement encouragé et devenir un principe ne souffrant que d’exceptions dûment justifiées. Il s’agit, en effet, de réduire la part des solutions logicielles propriétaires, notamment non européennes, utilisées par défaut alors que des solutions alternatives ont fait la démonstration de leur utilité.

La défense de ce principe doit constituer, en effet, l’aboutissement de la politique menée en ce sens par l’État ces dernières années via:

– l’instruction du Premier ministre du 19 septembre 2012, qui fixe les grandes orientations à suivre dans ce domaine [circulaire et lettre du Premier ministre Jean-Marc Ayrault]. Le choix du logiciel libre y est considéré comme un choix raisonné devant la contrainte budgétaire croissante et la valorisation des compétences et de l’expertise professionnelle des équipes informatiques qui ne doivent pas être de simples acheteurs de solutions. Le logiciel libre, utilisé dans un contexte de développement agile, permet l’ajout de fonctions au fur et à mesure de la définition des besoins en rapport avec les utilisateurs, ce qui permet de procéder, d’une manière limitée, par ‘essais/erreurs’. Ce modèle nécessite également la mise en place d’une communauté de contributeurs et une approche modulaire, la constitution d’un réseau d’experts dans l’administration permettant de faire profiter l’ensemble des administrations des expertises ponctuelles nécessaires. Le logiciel libre n’étant pas synonyme de gratuité, il convient de veiller à assurer le contrôle des coûts de fonctionnement et de maintien de la performance dans le temps;

– l’article 16 de la loi du 7 octobre 2016 pour la République numérique [voir le texte de la loi – le choix du terme relatif au logiciel libre avait été l’objet de débats acharnés à l’Assemblée en janvier 2016] qui dispose que les administrations veillent à préserver la maîtrise, la pérennité et l’indépendance de leurs systèmes d’information et encouragent l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation de tout ou partie des systèmes d’information;

– l’instruction du Premier ministre du 27 avril 2021 faisant de la politique de la donnée une priorité stratégique de l’État dans ses relations avec tous ses partenaires [circulaire du Premier ministre Jean Castex], qui insiste à nouveau sur le fait que cette ambition, outre le renforcement de l’ouverture des codes sources et des algorithmes publics, passe par l’usage du logiciel libre et ouvert. Lors de son audition, M. Stéfane Fermigier, coprésident du conseil national du logiciel libre, s’il s’est réjoui de l’annonce par le Premier ministre de la création de la Mission ‘Logiciels libres’ a regretté une situation contrastée quant à l’utilisation du logiciel libre dans l’administration: ‘Nous avons constaté des niveaux de maturité variables selon les administrations. Tout dépend des circonstances. Il suffit parfois d’un directeur des services informatiques (DSI) enthousiaste pour qu’une attitude proactive s’impose. Aujourd’hui, le constat s’impose que des ministères jusque-là fortement impliqués dans l’utilisation du logiciel libre semblent s’orienter vers d’autres solutions. Malgré la volonté de mettre en avant la notion de souveraineté, peut-être de manière trop abstraite, de plus en plus d’acteurs se tournent vers des fournisseurs de cloud américains. Les contraintes qui en découlent risquent de contrecarrer à terme l’expansion des éditeurs de logiciels libres, mais aussi de l’industrie européenne du cloud.’

C’est dans cette optique que votre rapporteur souhaite faire du recours au logiciel libre une obligation au sein de l’administration, le recours aux solutions propriétaires devant devenir progressivement une exception.»

«Défendre les technologies cloud européennes»

Cité comme on l’a vu ci-dessus dans le rapport, Stéfane Fermigier, coprésident du CNLL, relève:

«D’autres propositions dans le rapport de la Mission sont également alignées avec les prises de position et les propositions du CNLL, ainsi qu’avec les attentes de l’association Euclidia qui a été lancée la semaine dernière pour promouvoir et défendre les technologies cloud européennes:

• Proposition n° 7: Intégrer de façon systématique au sein des arbitrages techniques des projets numériques les enjeux ayant trait à la souveraineté numérique, en particulier concernant la protection des données personnelles et la localisation des données en Europe.

• Proposition n° 26: Privilégier, en matière de commande publique, le recours aux solutions d’acteurs technologiques français ou européens.

• Proposition n° 30: Faire évoluer les pratiques et le cadre juridique de la commande publique [notamment au niveau européen avec un “Small Business Act” européen].

• Proposition n° 53: Imposer au sein de l’administration le recours systématique à des solutions numériques françaises, lorsque leur niveau de performance est satisfaisant pour les usages concernés.

• Proposition n° 56: Développer une offre cloud européenne respectant les valeurs du modèle européen.

• Proposition n° 57: Garantir au sein de Gaia-X une gouvernance et une conduite de projets conformes aux ambitions exprimées par ses membres fondateurs afin d’éviter que cette initiative ne devienne un instrument au service de la croissance d’acteurs déjà dominants.» [voir cette tribune de Jean-Paul Smets: “Les technologies libres ou européennes de cloud sont-elles exclues des marchés publics en France?”]

Stéfane Fermigier avait été reçu en audition par la mission d’information le 1er juin. Il avait notamment exposé aux députés:

“Le logiciel libre présente un avantage économique indéniable. Des centaines de chercheurs parmi les plus prestigieux l’ont mis en évidence dans leurs travaux. Le prix Nobel d’économie, M. Jean Tirole, s’est lui-même penché sur les communs numériques. Une étude de la Commission européenne restant à publier indique que les investissements dans le logiciel libre sont d’un excellent rapport pour la société considérée dans son ensemble. Chaque euro investi dans la filière du logiciel libre engendre un retour sur investissement au moins quatre fois supérieur.”

Après la publication du rapport, Stéfane Fermigier se réjouit «que les messages clefs que développe le CNLL depuis une dizaine d’années aient été entendus par la Mission».

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