Accusations de viol : ce que contient vraiment le dossier Darmanin – Le Parisien

Une semaine après la nomination de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur, la polémique ne désenfle pas : manifestations féministes à répétition, tribunes assassines, critiques de l’opposition… A l’occasion de son entretien du 14 juillet, le président de la République Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas manqué d’être interpellé sur ces accusations de viol qui pèsent sur le nouveau patron de la place Beauvau. « Il y a une procédure pour des raisons de forme qui revient », a relativisé le chef d’Etat au sujet de la reprise récente des investigations décidées par la justice. Et Emmanuel Macron de se présenter comme « le garant de la présomption d’innocence ».

Que contient vraiment le dossier Darmanin? L’affaire a-t-elle vraiment été rouverte uniquement pour des questions de forme? Pas seulement. Le 9 juin, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris a infirmé l’ordonnance de non-lieu rendue dans cette affaire par le juge d’instruction mais pour un motif qui tient autant à la forme qu’au fond : le magistrat avait motivé sa décision sur les seules conclusions de l’enquête préliminaire classée par le parquet de Paris, sans mener lui-même le moindre acte d’enquête. Il est donc prié de relancer des investigations sur le désormais « premier flic de France ».

Les faits, datés de mars 2009, sont anciens mais la première plainte pour viol apparaît seulement en juin 2017. Pourquoi avoir attendu huit ans pour saisir la justice ? La nomination de Gérald Darmanin au gouvernement aurait servi d’élément déclencheur, faisant revivre à la victime présumée les faits. Celle-ci aurait « explosé », selon les propres déclarations de son mari. Après avoir parlé avec une militante féministe, l’accusatrice indique avoir pris conscience qu’un viol pouvait être commis sans violence physique.

«Moi aussi il va falloir m’aider»

Retour en arrière. Le 17 mars 2009, Olga Patterson, 36 ans, sympathisante UMP et ancienne escort girl, obtient un rendez-vous avec Gérald Darmanin. Le jeune homme, âgé de 26 ans, est déjà conseiller municipal à Tourcoing et chargé de mission au service des affaires juridiques de l’UMP. La trentenaire souhaite que l’élu intervienne en sa faveur et joue de ses relations pour faire effacer de son casier judiciaire une condamnation à 10 mois de prison avec sursis pour « chantage, appels malveillants et menace » contre un ex-petit ami. Une condamnation liée, selon elle, à ses anciennes activités d’escort girl, dont profitait financièrement son ancien compagnon. Depuis, l’ex-call girl s’est mariée à Pierre S., un ingénieur dans la finance et a mis fin à ses activités. Voilà cinq ans qu’elle frappe à toutes les portes pour faire réexaminer sa condamnation judiciaire. Sans résultat.

La rencontre entre la sympathisante UMP et le jeune élu se déroule au siège du parti, à Paris. La trentenaire vient au rendez-vous avec un dossier sous le bras qu’elle remet, selon elle, à son interlocuteur. Gérald Darmanin promet de s’en occuper. « Il a interrompu l’entretien en m’affirmant qu’il y avait des caméras et des micros dans son bureau », raconte-t-elle aux enquêteurs du 1er district de la police judiciaire parisienne (DPJ). Une demi-heure plus tard, celle-ci reçoit un appel téléphonique de l’élu qui lui propose un dîner pour discuter de son dossier. Elle accepte.

A table, son interlocuteur promet de l’aider et d’« écrire en tant qu’élu ». Gérald Darmanin, raconte-t-elle, lui a alors pris la main en disant mais « moi aussi, il va falloir m’aider ». « Il connaissait mon ancienne activité au vu du dossier que je lui ai laissé », précise la plaignante. La jeune femme aurait alors quitté « la table en souriant, se serait rendue « aux toilettes afin de calmer (sa) panique » puis à son retour aurait signifié à Gérald Darmanin son désir de rentrer chez elle pour rejoindre son mari.

«Ça me paraissait interminable»

Finalement, l’élu et la sympathisante UMP iront ensemble aux Chandelles, un club échangiste de la capitale avant de se rendre « main dans la main » à l’hôtel Montpensier (Ier arrondissement), un établissement sans prétention, choisi par Darmanin. Là, Olga Patterson explique avoir demandé à son partenaire d’acheter des produits de toilette. Vivant encore chez sa mère à l’époque, le futur ministre aurait rapidement effectué un saut chez celle-ci à 10 minutes à pied pour exaucer les désirs de la trentenaire. A son retour, ils ont une relation sexuelle. « Et, là, je suis passée à la casserole », confie crûment Olga […] « Je suis restée longtemps, ça me paraissait interminable. Je ne pensais qu’à mon innocence, et à me projeter dans ma future vie. Après on a refait, j’ai dû repasser à la casserole. »

La trentenaire rentre ensuite chez elle à pied et raconte tout à son mari. Ce que confirmera celui-ci, sur PV, décrivant une compagne « prostrée ». La victime présumée accuse l’actuel ministre de l’Intérieur d’avoir exercé une « pression morale », en lui imposant une relation sexuelle sans qu’elle pût avoir le choix de la refuser, au regard de l’espoir qu’elle plaçait dans une intervention de l’élu en sa faveur.

Gérald Darmanin donne du déroulé de soirée une version semblable à celle de la plaignante : le passage aux Chandelles puis une relation sexuelle. Mais une seule, selon lui, et consentie. /AFP/Gaizka Iroz
Gérald Darmanin donne du déroulé de soirée une version semblable à celle de la plaignante : le passage aux Chandelles puis une relation sexuelle. Mais une seule, selon lui, et consentie. /AFP/Gaizka Iroz  

L’exploitation du téléphone d’Olga Patterson révèle plusieurs échanges SMS avec Gérald Darmanin. Lui, propose régulièrement de boire un verre, sans aucun message à connotation sexuelle. Elle, lui envoie de nombreux messages au sujet de la lettre promise au garde des Sceaux. « Abuser de sa position ! Pour ma part c’est être un sale con ! Quand on sait l’effort qu’il m’a fallu pour baiser avec toi », lui écrit-elle. Darmanin lui répond : « Tu as raison je suis sans doute un sale con. Comment me faire pardonner ? »

La plainte de juin 2017 est classée sans suite un mois plus tard par le parquet de Paris, la victime présumée ne s’étant pas présentée aux policiers. Olga Patterson a expliqué qu’elle avait eu peur de ne pas être crue et d’être discréditée au regard de ses anciennes activités. Une deuxième plainte est déposée le 22 janvier 2018. La plaignante est alors entendue par les enquêteurs, Gérald Darmanin aussi, en audition libre.

Devenu ministre de l’Action et des comptes publics, il confirme avoir reçu Olga Patterson à l’UMP, sans qu’elle lui remette pour autant de dossier. Il lui aurait alors promis de se renseigner, le droit pénal n’étant pas sa spécialité. Selon lui, c’est la plaignante qui le recontacte, lui proposant d’aller dîner. A table, elle l’aurait même sollicité sexuellement. L’élu confie aux policiers être « un peu gêné mais aussi sensible à ce geste », soulignant son jeune âge à l’époque, 26 ans, par rapport à celui plus avancé de son interlocutrice. « Impressionné », il se souvient, ce soir-là, qu’Olga Patterson est « très féminine, jolie et attirante portant des talons très hauts, dans une tenue très différente de celle qu’elle avait lors de leur premier entretien ».

Des rencontres à l’initiative de Darmanin

Gérald Darmanin donne du déroulé de soirée une version semblable à celle de la plaignante : le passage aux Chandelles puis une relation sexuelle à l’hôtel. Mais une seule, selon lui, et consentie. Il décrit aux policiers une partenaire « sensuelle, lascive, manifestant un comportement dominant, prenant les choses en mains ». L’élu aurait ensuite rencontré Olga Patterson à au moins trois reprises, à l’occasion de café ou de verres, et admet que ces rencontres étaient de son initiative. Lors de son audition, il précise qu’il n’est pas intervenu en sa faveur, qu’il lui a conseillé de consulter des avocats, et qu’il a seulement rédigé une lettre au garde des Sceaux en tant que conseiller municipal auquel il a reçu en réponse un courrier type du ministère de la justice.

Le 16 février 2018, le procureur de la république de Paris classe la plainte sans suite pour absence d’infraction. Moins d’un mois plus tard, en mars, Olga Patterson se constitue partie civile par l’intermédiaire de son avocate Me Elodie Tuaillon-Hibon. Le 16 août 2018, le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu. On connaît la suite.

Sommes-nous dans une affaire de morale ou dans le cas d’une infraction pénale ? Le juge devra trancher après avoir mené ses propres investigations. La partie civile demande notamment une confrontation entre la victime et l’auteur présumé. « Un classement sans suite, un second classement sans suite, puis un non-lieu, c’est la preuve par trois de la présomption d’innocence », réagit Me Pierre-Olivier Sur, l’avocat de Gérald Darmanin.

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