A Washington, un rapport explosif épingle le pouvoir de nuisance des GAFA

A Washington, un rapport explosif épingle le pouvoir de nuisance des GAFA

Haro sur les GAFA. Dans un rapport fleuve publié ce mardi par la sous-commission antitrust de la commission judiciaire de la Chambre des représentants des Etats-Unis, des parlementaires américains viennent de proposer de limiter les structures des géants américains du numérique. Le but de la manœuvre ? Adopter une « législation qui, soit empêcherait les entreprises technologiques de posséder différentes branches d’activité, ce qui pourrait conduire à un démantèlement des entreprises, soit imposerait certaines structures organisationnelles aux entreprises ».

Long de de 449 pages, le rapport rédigé par ces parlementaires américains tire en effet la sonnette d’alarme. Pour ces derniers, il y a urgence à rétablir la concurrence dans l’économie numérique, renforcer les lois antitrust et « revigorer » l’application de la législation antitrust.

« Tels qu’ils existent aujourd’hui, Apple, Amazon, Google et Facebook possèdent chacun un pouvoir de marché significatif sur de larges pans de notre économie », explique le président de cette sous-commission, le représentant démocrate du Rhode Island, David Cicilline. Et de poursuivre : « notre enquête ne laisse aucun doute sur le fait qu’il existe un besoin clair et impérieux de prendre des mesures qui rétablissent la concurrence, améliorent l’innovation et préservent notre démocratie ».

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Les GAFA, un risque pour l’innovation

L’innovation est d’ailleurs au centre du rapport, dont l’élaboration aura pris plus de 16 mois. Pour l’élue démocrate Pramila Jayapal, l’enquête menée par les parlementaires américains est sans appel : l’autorégulation des grandes entreprises technologiques se fait au détriment des communautés, des petites entreprises, des consommateurs, de la presse libre et de l’innovation.

« Notre enquête a révélé un modèle alarmant de pratiques commerciales qui dégradent la concurrence et étouffent l’innovation », appuie en effet l’élue démocrate Val Demings. « La série d’auditions de la sous-commission a produit des preuves significatives pour attester que ces entreprises exercent leur domination de manière à éroder l’esprit d’entreprise, à dégrader la vie privée des Américains en ligne et à saper le dynamisme de la presse libre et diversifiée. Il en résulte moins d’innovation, moins de choix pour les consommateurs et une démocratie affaiblie », indiquent les élus dans leur rapport.

Pour ces derniers, « la concurrence doit récompenser la meilleure idée, et non le plus gros compte d’entreprise ». Et si les tensions sont au plus haut entre démocrates et républicains, la conclusion des parlementaires semble pourtant avoir remporté l’assentiment général. Bien qu’il ne soit pas d’accord sur les responsabilités qui ont conduit les GAFA à disposer d’un tel pouvoir de marché, l’élu républicain Matt Gaetz a en effet reconnu à son tour que ces « sociétés prédatrices » ont utilisé leur vaste taille pour nuire injustement à la concurrence et aux consommateurs.

Le « pouvoir monopolistique » de Facebook épinglé

« Sociétés prédatrices. » L’expression se veut sans ambiguïté. Et concerne Facebook au premier chef, dont le « pouvoir monopolistique » sur le marché des réseaux sociaux est dénoncé par les parlementaires américains. Si ces derniers indiquent avoir relevé des preuves des « pratiques monopolistiques » du réseau social, ils déplorent en revanche le manque de suivi dont celui-ci a fait l’objet de la part des autorités. Sur ses près de 100 acquisitions, la Commission fédérale du commerce s’est en effet engagée dans une enquête approfondie sur une seule d’entre elles : Instagram en 2012.

De quoi faire enrager les auteurs du rapport, pour qui Facebook a également maintenu son monopole par une série de pratiques commerciales anticoncurrentielles. Comment ? En utilisant par exemple son avantage en matière de données pour créer « une intelligence commerciale supérieure afin d’identifier les menaces concurrentielles naissantes et ensuite acquérir, copier ou tuer ces entreprises ».

« En l’absence de concurrence, la qualité de Facebook s’est détériorée au fil du temps, ce qui a entraîné une dégradation de la protection de la vie privée de ses utilisateurs et une augmentation spectaculaire de la désinformation sur sa plateforme », regrettent ces derniers, qui appuient leur conclusion sur des auditions menées auprès de cadres dirigeants de Facebook. Interrogé dans le cadre de cette enquête, un cadre du réseau social a en effet décrit la stratégie d’acquisition du groupe comme une « saisie de terres » pour « consolider » la position de Facebook, tandis qu’un autre a reconnu que l’achat d’Instagram avait été motivé par la menace que représentait alors l’application pour le groupe de Mark Zuckerberg.

De même que les « tactiques anticoncurrentielles » de Google

Le rapport de ces parlementaires américains n’épargne pas non plus Google. Le géant américain est en effet épinglé pour son monopole, notamment sur le marché des moteurs de recherche, où il est « protégé par de hautes barrières à l’entrée ». Les élus en sont d’ailleurs convaincus : « Google a maintenu son monopole sur la recherche générale par une série de tactiques anticoncurrentielles ». Des tactiques qui comprennent notamment des restrictions contractuelles et des dispositions d’exclusivité visant à étendre le monopole de recherche de Google, comme dans le cas de son achat du système d’exploitation Android en 2005.

« Google exploite les asymétries d’information et suit de près les données en temps réel sur les marchés, ce qui – étant donné la taille de Google – lui fournit une information commerciale quasi parfaite », accusent les auteurs du rapport. « Dans certains cas, Google a secrètement mis en place des programmes pour suivre de plus près ses concurrents potentiels et réels, notamment par le biais de projets comme Android Lockbox », expliquent-ils.

Et de regretter que « chacun de ses services fournit à Google une mine de données sur les utilisateurs, ce qui renforce sa domination sur les marchés et entraîne une plus grande monétisation par le biais des annonces en ligne. En reliant ces services entre eux, Google fonctionne de plus en plus comme un écosystème de monopoles interdépendants ».

Amazon et AWS ne sont pas épargnés

Bien que les parts de marché d’Amazon dans le secteur de la vente au détail en ligne soit chiffré à environ 40 %, les auteurs du rapport estiment que cette part est probablement sous-estimée et devrait plutôt dépasser les 50 %. Et donc de conduire à une situation de monopole de fait. Pour eux, Amazon « a un pouvoir de monopole sur de nombreuses petites et moyennes entreprises qui n’ont pas d’alternative viable pour atteindre les consommateurs en ligne ».

« Amazon compte 2,3 millions de vendeurs tiers actifs sur son marché dans le monde entier, et une récente enquête estime qu’environ 37 % d’entre eux – soit environ 850 000 vendeurs – dépendent d’Amazon comme seule source de revenus », avancent-ils. Comme les autres membres des GAFA, « Amazon a atteint sa position dominante actuelle, en partie, en acquérant ses concurrents ; elle a également acquis des entreprises qui opèrent sur des marchés adjacents, ajoutant des données sur les clients à son stock et renforçant encore ses défenses concurrentielles ».

« Amazon a adopté un comportement anticoncurrentiel étendu dans son traitement des vendeurs tiers », relève également le rapport. Et si Amazon décrit officiellement les vendeurs tiers comme des « partenaires », des documents internes indiquent au contraire que ces derniers sont qualifiés au sein du géant du commerce en ligne comme des « concurrents internes ».

Du côté des assistants vocaux, le rapport indique que le « leadership précoce » de l’entreprise sur ce marché conduit à la collecte de données consommateurs hautement sensibles, qu’Amazon peut ensuite utiliser pour promouvoir ses autres activités, notamment dans le commerce électronique et le streaming vidéo via sa plateforme Prime Video. AWS est également épinglé. Pour les auteurs du rapport, le simple fait que la branche cloud d’Amazon fournit une infrastructure essentielle à de nombreuses entreprises concurrentes du géant américain tend à prouver l’existence d’un conflit d’intérêts contraignant les clients d’AWS à « envisager de prendre un concurrent en considération, au lieu de choisir la meilleure technologie pour leur entreprise ».

Apple accusé de ne pas protéger la vie privée de ses utilisateurs

Enfin, Apple n’est bien sûr pas oublié par les auteurs du rapport parlementaire. Pour ces derniers, la marque à la Pomme « exerce un pouvoir monopolistique sur le marché des applications mobiles », contrôlant l’accès à plus de 100 millions d’iPhone et d’iPad aux Etats-Unis. « Apple tire parti de son contrôle sur iOS et l’App Store pour créer et faire respecter des barrières à la concurrence et discriminer et exclure ses rivaux tout en préférant ses propres offres », indiquent-ils.

Mais ce n’est pas tout. « Apple utilise également son pouvoir pour exploiter les développeurs d’applications en détournant des informations sensibles sur le plan de la concurrence et pour leur faire payerdes prix supraconcurrentiels au sein de l’App Store », épinglent les élus.

Sans citer les cas épineux d’Epic Games ou de Spotify, ces derniers relèvent qu’« en l’absence de concurrence, le pouvoir monopolistique d’Apple sur la distribution de logiciels aux appareils iOS a eu pour conséquence de nuire aux concurrents et à la concurrence, de réduire la qualité et l’innovation chez les développeurs d’applications, et d’augmenter les prix et de réduire les choix offerts aux consommateurs ».

Les pratiques d’Apple concernant la protection de la vie privée de ses utilisateurs sont également visées par les parlementaires américains. « En l’absence de garde-fous adéquats en matière de protection de la vie privée aux Etats-Unis, la collecte persistante et l’utilisation abusive de données sur les consommateurs sont un indicateur du pouvoir de marché en ligne », écrivent-ils.

Renforcer l’application de l’arsenal antitrust

Et de lister un certain nombre de recommandations à soumettre au Congrès, à majorité républicaine. La première série de réformes suggérées par les auteurs du rapport doivent conduire à la mise en place de « séparations structurelles » entre les différentes activités des GAFA, et interdire à ces plateformes considérées comme dominantes d’opérer dans des secteurs d’activité adjacents. Elle a également pour objectif d’introduire des exigences de non-discrimination, interdisant de fait aux GAFA de pratiquer l’autoréférencement et les obligeant à offrir des conditions égales pour des produits et services identiques.

Cette série de réformes vise également à exiger des plateformes dominantes qu’elles rendent leurs services compatibles avec divers réseaux, et qu’elles rendent le contenu et les informations facilement transférables entre elles. Enfin, elle ouvre la voie à « l’interdiction par présomption » des fusions et acquisitions futures auxquelles pourraient se livrer les GAFA.

Pour renforcer les lois antitrust, les auteurs du rapport souhaitent réaffirmer leurs objectifs d’anti-monopole et leur caractère central pour assurer une « démocratie saine et dynamique ». Et de proposer de rétablir « un contrôle solide du Congrès sur les lois antitrust et leur application », tout en redonnant plus de marge de manœuvre, notamment financière, aux autorités de régulation américaines. Enfin, ces derniers souhaitent également renforcer l’application de la loi en éliminant les obstacles que constituent les clauses d’arbitrage forcé, les limites à la formation de recours collectifs ou le coût élevé des procès qui protègent aujourd’hui les GAFA.

Des mesures approuvées par tous les partis

Des mesures qui pourraient bien susciter l’approbation dans les rangs républicains du Congrès. Le membre républicain du Congrès Ken Buck a en effet déclaré que s’il ne partage pas toutes les recommandations du rapport, il soutient pleinement ce travail, en vue d’une solution qui « maîtrise les géants technologiques et leur comportement anticoncurrentiel. L’application de la législation antitrust sur les marchés technologiques n’est pas une question partisane, je soutiens les enquêtes bipartites en cours sur ces entreprises », a-t-il fait savoir.

Réagissant aux conclusion de ce rapport, la direction de Google a déclaré que l’objectif de la loi antitrust est de protéger les consommateurs, et non d’aider les concurrents commerciaux. « Les Américains ne veulent tout simplement pas que le Congrès casse les produits de Google ou nuise aux services gratuits qu’ils utilisent tous les jours », a fait savoir l’état-major du géant américain.

Pour Google, « de nombreuses propositions présentées dans les rapports d’aujourd’hui, qu’il s’agisse de démanteler des entreprises ou de contourner la section 230, causeraient un réel préjudice aux consommateurs, au leadership technologique des Etats-Unis et à l’économie américaine, et ce, sans aucun bénéfice évident ». Pas sûr toutefois que cette déclaration suffise à éteindre l’incendie qui fait planer une ombre de plus en plus opaque sur l’avenir des GAFA.

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