
A Kiev, le procès du sergent russe qui ne savait « rien » de l’Ukraine – Le Monde
L’avocat ukrainien Viktor Ovsiannikov se souvient de sa surprise, il y a un mois, en découvrant le soldat russe qu’il allait devoir défendre dans le premier procès intenté pour « crime de guerre » depuis l’invasion de son pays. Me Ovsiannikov, 43 ans, a l’habitude d’être commis d’office dans les dossiers noirs : il a déjà pour client le chef d’un centre de torture secret créé par les séparatistes prorusses dans le Donbass. Cette fois, il s’attendait à rencontrer un « orque », surnom donné par les jeunes Ukrainiens aux soldats russes, en référence à ces créatures – monstrueuses et furieuses – qui écument certaines œuvres de fantasy.

A l’ouverture de son procès, à Kiev, le 18 mai, l’orque en question s’avance entre quatre militaires : le sergent Vadim Chichimarine, 21 ans, 50 kilos, flottant dans un survêtement trop large. Ses lèvres tremblent dans un visage de gosse quand il plaide coupable, reconnaissant avoir tué un civil qui ne portait pas d’arme. Son procès se tient devant les caméras de la planète entière. D’autres conflits ont produit des procès spectaculaires, où de hauts responsables comparaissent devant des cours spéciales. Mais l’affaire du sergent Chichimarine prend l’histoire par l’autre bout : celui d’hommes ordinaires précipités dans la guerre, au ras de la peur et de la boue.
En Ukraine, les cours d’exception n’existent pas. Dans le cas présent, plaider coupable permet, comme dans n’importe quelle affaire, une procédure courte, sans examen du dossier, passant directement au réquisitoire et à la plaidoirie. Mais ce premier procès se veut « exemplaire », a martelé le procureur, Andriy Syniuk, pour démontrer que l’Ukraine était un Etat de droit, respectueux des principes fondamentaux. Il a donc été décidé que les preuves y seraient tout de même examinées et les trois principaux témoins entendus.
Debout dans le box, Vadim Chichimarine les écoute raconter ce qui s’est passé à Tchoupakhivka, dans le nord-est de l’Ukraine, près de la frontière russe, le 28 février, quatre jours après le début de l’invasion. De la guerre, on sait alors peu de choses dans la commune. « Personne ne s’y attendait. On s’informait sur Internet et on essayait de rester chez nous », raconte un voisin, à la barre. La veille, les habitants ont vu des chars en colonne remonter la rue Lénine sans s’arrêter, lancés vers Soumy, la capitale régionale. La nuit tombée, des explosions ont retenti. Alors, au petit matin, ça discute par groupes timides lorsque surgit une Volkswagen Passat. Tombés dans une embuscade sur la route, les militaires russes avaient organisé un convoi pour rapatrier leurs blessés. Mais celui-ci fut à son tour attaqué. Dans la débâcle, cinq soldats ont volé le véhicule ; parmi eux, le petit sergent Chichimarine. Lui vient de Sibérie, de la région d’Irkoutsk, à plus de 5 000 kilomètres de là, l’aîné de cinq enfants. Un temps, il a travaillé dans un magasin de pneus. Puis, à 18 ans tout juste, en 2019, il s’est engagé dans l’armée, « naturellement », dit-il. Où d’autre aurait-il eu l’espoir de gagner autant d’argent pour soutenir sa mère ? « Combien ? », demande le président. « L’équivalent de 550 dollars par mois. »
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