Mort d’Al-Baghdadi : Pourquoi le décès du chef de Daesh ne tuera pas l’organisation terroriste – 20 Minutes

Abou Bakr al-Baghdadi dans une vidéo de propagande de juillet 2014. — Uncredited/AP/SIPA
  • Ce dimanche, lors d’une conférence de presse, le président Donald Trump a assuré que le monde était « maintenant bien plus sûr » depuis la mort du leader de Daesh Abou Bakr Al-Baghdadi.
  • Les experts ont nuancé les propos du président américain en soulignant que des professionnels étaient à la tête des directions opérationnelles de Daesh et que les conséquences de la mort de Baghdadi ne pouvaient pas être comparées à celles de Ben Laden par exemple.
  • Certains évoquent également la possibilité de représailles dans un désir de vengeance et l’utilisation de l’image de martyr du chef pour enrôler de nouveaux soldats.

Une victoire ou une simple étape ? Ce dimanche après-midi Donald Trump a annoncé en direct depuis la Maison-Blanche que Abou Bakr Al-Baghdadi était mort, à la suite d’une intervention de l’armée américaine. « Le monde est maintenant bien plus sûr », s’est-il félicité durant sa longue allocution, racontant en détail comment le leader du groupe Etat islamique était « mort comme un chien ». Cependant pour les experts, l’idée d’une avancée notoire dans la lutte contre le terrorisme est à nuancer.

Symboliquement, il est clair que la mort du leader, autoproclamé calife en 2014, représente un sacré coup pour l’organisation terroriste. « C’est une jolie marque pour la politique intérieure de Donald Trump et cela va sûrement affaiblir le groupe Etat islamique le temps qu’il soit remplacé. Notamment les cellules dormantes de djihadistes qui attendent des ordres », explique à 20 Minutes Amélie M. Chelly, chercheuse spécialiste de l’Islam idéologique et auteure du livre En attendant le paradis (Éditions du Cerf).

« Le plus probable est que la mort d’al-Baghdadi crée un moment de silence et une pause dans les attaques terroristes, comme cela avait été le cas après l’assassinat d’Abou Omar al-Bagdadi » [ancien chef d’Al-Qaïda en Irak, dont est issu l’EI, tué en 2010], estime auprès de l’AFP le chercheur Hicham al-Hachémi, spécialistes des mouvements djihadistes dans la région de Bagdad.

L’idéologie ne va pas mourir avec Baghdadi

« Il n’est pas cependant certain qu’une telle perte symbolique affecte fondamentalement la direction opérationnelle de Daesh, depuis longtemps aux mains de professionnels aguerris », confie à l’AFP, Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po-Paris. « Les grands chefs qui ordonnent les combats sont des anciens de l’armée irakienne et des Tchétchènes qui possèdent donc de grandes compétences stratégiques et des rôles décisionnaires, précise Amélie M. Chelly. Baghdadi était l’incarnation d’une idéologie, mais sa disparition physique ne l’entache en rien. Elle ne va donc pas mourir avec lui, mais continuer de vivre. »

Une prudence que semblent partager plusieurs alliés occidentaux de Donald Trump : « La mort de Baghdadi est un moment important dans notre combat contre la terreur mais la bataille contre le fléau de Daesh n’est pas encore terminée », a déclaré ce dimanche sur Twitter, le Premier ministre britannique Boris Johnson. « La mort d’al-Baghdadi est un coup dur porté contre Daesh, mais ce n’est qu’une étape. Le combat continue avec nos partenaires de la coalition internationale pour que l’organisation terroriste soit définitivement défaite. C’est notre priorité au Levant », a écrit pour sa part Emmanuel Macron.

Pour les experts, ce décès pourrait même avoir moins d’impact quel’élimination d’Oussama Ben Laden n’en a eu pour Al-Qaïda en 2011. « Ben Laden était un symbole plus fort et avait créé une esthétique du djihadisme autour de son image : les vidéos avec des discours face caméra, lui sur un cheval… Avec Baghdadi, l’héroïsation du djihad est déportée sur les jeunes. Avec les vidéos de propagande, dans lesquelles ils se reconnaissent et s’imaginent en héros », décrypte Amélie M. Chelly. La chercheuse rappelle également que contrairement à Al-Qaïda, le groupe Etat Islamique n’est pas mort lorsqu’il a perdu tous ses territoires. « Cette perte a été intégrée à l’idéologie, comme une mise à l’épreuve de dieu et a exhorté les soldats à redoubler de cruauté envers les mécréants responsables de la perte de ces terres. »

Désir de vengeance

Dans une série de tweets, Rita Katz, directrice de SITE Intelligence Group, un groupe américain spécialisé dans la surveillance des mouvements djihadistes, évoque aussi – malgré le « coup terrible porté à l’EI et à son réseau » – le risque de représailles. « L’Histoire nous a appris (à travers la mort d’al-Zarqawi et d’autres chefs) que le mouvement est résilient sur le plan opérationnel et va capitaliser sur la mort d’al-Baghadi pour recruter et appeler à de nouvelles attaques », écrit-elle. D’autant qu’en faisant exploser sa ceinture d’explosifs, ce dernier est mort en martyr selon le groupe Etat islamique.

Pour Amélie M. Chelly, certains « djihadistes en errance à qui le groupe Etat islamique a donné leur indépendance » pourraient décider d’agir sans attendre d’ordres. En 2014, l’ancien porte-parole de Daesh Abou Mohamed Al-Adnani avait en effet exhorté les sympathisants du groupe à tuer « de n’importe quelle manière », « tout citoyen » des pays entrés dans une coalition contre l’Etat islamique ».

Reste à voir comment se déroulera la suite. « Le mouvement n’a jamais nommé de successeur potentiel, et n’a jamais identifié formellement ses cadres dirigeants, pour des raisons de sécurité », souligne Rita Katz.

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