5G : Après les opérateurs, l’émoi gagne les associations de défense des consommateurs

5G : Après les opérateurs, l'émoi gagne les associations de défense des consommateurs

Alors que Bouygues Telecom et Free ont déjà fait part de leur inquiétude par rapport au futur appel d’offres pour l’octroi de fréquences 5G, qui se tiendra à l’automne sous l’égide de l’Arcep, c’est maintenant au tour des associations de défense des consommateurs de partager ses doutes à ce sujet. Si le projet présenté par le gendarme des télécoms était encore soumis à consultation jusqu’à mercredi dernier – et bien qu’on ne connaisse pas encore les résultats des consultations menées par l’Arcep, qui n’a pas encore communiqué à ce propos malgré nos sollicitations – l’association UFC-Que Choisir se veut attentive et souhaite avant tout éviter la mise en place d’une 5G à deux vitesses, dont l’efficacité variera selon que l’on soit abonné de tel ou tel opérateur mobile.

Pour l’association, le projet de régulation de l’Arcep ne “permettra pas à tous les consommateurs d’accéder à terme au meilleur de la 5G, mais en plus il ouvre la voie à toutes les dérives marketing des opérateurs”. Et de réclamer que le gendarme des télécoms corrige les “lacunes actuelles” de son projet. A l’instar des positions communiquées par les états-majors de Free et Bouygues Telecom, l’association prend notamment pour référence le lancement de la 4G, lors duquel les opérateurs disposaient à peu près des mêmes marges de manoeuvres pour offrir des débits similaires à leurs abonnés. “Alors qu’au démarrage de la 4G les opérateurs proposaient peu ou prou les mêmes débits, la situation sera bien différente concernant la 5G”, a ainsi fait savoir l’association dans un communiqué de presse diffusé cette semaine.

Dans le viseur de l’association se trouve notamment les modalités de l’appel d’offres, qui prévoit un seuil minimal de fréquences attribuable d’office à chaque opérateur de 40 MHz,  qui pourraient selon elle aboutir à un véritable déséquilibre entre opérateurs. “Pour sa principale bande de fréquences (3490-3800 MHz), les enchères entre opérateurs pourront aboutir à ce que l’un d’entre eux n’ait que 40 MHz à exploiter, quand un autre pourra en obtenir jusqu’à 100 MHz. Autrement dit : les débits maximaux pourront varier du simple au plus du double entre opérateurs, pour une technologie en apparence identique”, a ainsi relevé l’association. Pour cette dernière la situation pourrait encore empirer en intégrant dans son calcul la bande des 700 MHz, qui devrait être utilisée par les opérateurs pour renforcer le déploiement de leurs réseaux 5G. En rajoutant cette bande, “cet écart deviendra en réalité abyssal puisque les débits théoriques pourront alors s’échelonner de 30 Mbit/s à plus d’1 Gbit/s”, a-t-elle indiqué.

Une position partagée par Bouygues Telecom et Free

Rappelons que ce raisonnement est en partie partagé par les opérateurs Bouygues Telecom et Free. A quelques semaines du lancement de l’appel d’offres pour l’octroi de 310 MHz de fréquences dans la bande 3,5 GHz, les deux opérateurs ont ainsi fait part de leurs réserves à propos de cette procédure arbitrée par le gendarme des télécoms. Alors que celle-ci prévoit un seuil fixe minimal de 40 MHz de fréquences par opérateur, selon un prix fixe dont le détail n’a pas été communiqué, les deux opérateurs estiment que ce seuil minimal ne sera pas suffisant pour permettre la mise en place d’offres dignes de ce nom.

Le directeur général adjoint de Bouygues Telecom, Didier Casas redoutait ainsi en fin de semaine dernière, dans des propos rapportés par “La Tribune”, un “scénario noir” selon lequel SFR et Orange, les deux opérateurs disposant de la trésorerie la plus importantes, ne se taillent la part du lion en récupérant chacun des blocs de fréquences de 100 Mhz pour ne laisser qu’un relicat de 110 Mhz à se partager entre Bouygues Telecom et Free.

Une position partagée par la direction de Free, qui a fait savoir ce mercredi, en marge de la présentation des résultats semestriels de la filiale d’Iliad, son opposition au projet de l’Arcep.”On considère que cet appel d’offres est un moment important, très structurant pour notre industrie. Pour nous, dans la façon dont il est conçu doit concilier à la fois investissement et concurrence et on considère qu’on doit garantir à chacun des quatre opérateurs a minima un bloc de 60 Mhz de fréquences. C’est essentiel pour avoir un appel d’offres équitable, c’est essentiel si l’on souhaite voir la 5G se déployer rapidement en France et c’est essentiel aussi pour le marché du B2B qui a besoin d’être dynamisé”, avait ainsi fait savoir Thomas Reynaud, le directeur général d’Iliad. Même son de cloche du côté du propriétaire de Free, Xavier Niel, selon lequel “si il y’a une différence significative en terme de spectre attribué à chaque acteur, il y’aura une différence significative en terme d’offres commercialisées par les opérateurs”.

La procédure arbitrée à compter de cet hiver par l’Arcep se déroulera en effet selon un mode d’attribution mixte en deux temps. Si un nombre de candidats inférieur ou égal à quatre opérateurs acceptent de prendre une série d’engagements lors du dépôt de leur dossier , ceux-ci pourront obtenir chacun un bloc de fréquences, au moins égal à 40 MHz de fréquences chacun, à un prix fixe dont la valeur n’a pas été communiquée. Si le nombre est supérieur ou égal à cinq, les quatre blocs seront disputés entre les candidats dans le cadre d’une enchère spécifique.

Dans un deuxième temps, les opérateurs pourront participer à une enchère pour s’offrir les 150 Mhz restant, en sachant que chaque opérateur ne pourra se voir octroyer qu’un maximum de 100 MHz de fréquences chacun. “Les candidats qualifiés, qu’ils aient obtenu ou pas un bloc à la phase précédente, ont ainsi la possibilité d’acquérir des fréquences additionnelles, par blocs de 10 MHz”, avait ainsi fait savoir au printemps Sébastien Soriano, le président de l’Arcep, précisant que le prix initial de chaque bloc sera fixé par le gouvernement.

Des engagements plus forts en terme de déploiement d’une 5G Stand-alone

Mais l’UFC-Que Choisir ne s’arrête pas au seul partage des fréquences entre opérateurs. Pour l’association, les modalités de déploiement du réseau posent également question. “L’Arcep, cela est une première, n’impose plus aux opérateurs un déploiement en termes de couverture de la population mais en termes de nombre de sites émetteurs (au moins 12 000 pour chaque opérateur au 31 décembre 2025). Or, à ce niveau, la couverture de la population par la meilleure 5G sera loin d’être intégrale”. Comme le relève l’association de défense des consommateurs en prenant comme exemple le déploiement actuel de la 4G en France, cette quantité de sites émetteurs sur la bande 3,5 GHz ne permettra pas de déployer de la 5G Stand-alone sur l’ensemble du territoire.

“Compte tenu de la portée relativement modérée de la bande de fréquence 5G 3490-3800 MHz par rapport à celles de la 4G, il est certain que le respect de l’obligation minimale aboutirait à rendre la ‘bonne’ 5G [de la 5G stand-alone, NDLR] disponible pour probablement moins de 90 % des consommateurs”, s’inquiète ainsi l’association, pour qui les mises en garde des autorités, qui veulent à tout prix éviter la constitution d'”une 5G des villes et une 5G des champs” ne tiendra pas. “Ce raisonnement en termes de sites laisserait le champ libre aux opérateurs pour les concentrer sur les zones denses les plus rentables, au détriment de nombreux territoires pouvant être orphelins ad vitam æternam d’une 5G de qualité”, relève cette dernière avant de livrer ses propositions à ce sujet, qu’elle a par ailleurs formulé à l’Arcep dans le cadre de la consultation publique organisée par l’Autorité. Celles-ci passent notamment par “le rétablissement d’un calendrier basé sur l’évolution de la part de la population couverte”, ainsi que par un “objectif à terme de couverture intégrale en 5G de qualité”.

Pour rappel, l’Arcep propose, dans le cadre de son appel d’offres pour l’octroi des fréquences 5G, d’imposer aux opérateurs titulaires de licences l’ouverture de la 5G dans au moins deux villes par opérateur (soit probablement une petite dizaine en tout) avant la fin 2020, et d’imposer ensuite “une trajectoire exigeante” pour soutenir les déploiements des équipements dans la bande 3,5 GHz au cours des années suivantes :

  •     3000 sites en 2022,
  •     8000 sites en 2024,
  •     12000 sites en 2025.

A noter que de 20 à 25 % des sites en bande 3,5 GHz devra se situer en zones peu denses, en ciblant l’activité économique, notamment l’industrie.

Les engagements des opérateurs porteront également sur une montée en puissance de la bande passante constatée. Dès 2022, au moins 75% des sites devront bénéficier de débits au moins égaux à 240 Mbit/s. “Pour atteindre ces débits, les opérateurs pourront soit utiliser les nouvelles fréquences attribuées, soit d’autres fréquences (notamment les fréquences moyennes ou basses permettant une meilleure propagation)”, a fait savoir l’Arcep.

Enfin, des obligations spécifiques sont envisagées sur les grands axes de transports, qui devront disposer de débits de 100 Mbit/s au niveau de chaque site, suivant deux étapes :

  • La couverture des axes de type autoroutier (soit 16 642 km) devra être finalisée en 2025 ;
  • La couverture des routes principales (soit 54 913 km) devra être finalisée en 2027.

La 5G non stand-alone dans le viseur de l’association

Enfin, l’association de défense des consommateurs a mis l’accent sur des “risques de mystifications marketing” auxquelles pourraient se livrer les opérateurs. Ces derniers pourraient en effet être tentés de faire passer de la 5G non stand-alone, qui emprunte le réseau LTE (ou 4G) pour établir des connexions mobiles que l’on pourrait qualifier de “5G”, pour de la “bonne 5G” et commercialiser de telles offres au prix fort. D’autant que cette nouvelle technologie de communication sans fil, qui passe par les réseaux 4G existants, a eu la bénédiction de la 3GPP, l’organisme de standardisation des technologies mobile, qui l’a certifié lors de la publication de sa release 15.

“Le projet de décision de l’Arcep ne tient aucunement compte des contrastes de la 5G. En l’état, les opérateurs pourraient donc la commercialiser à grand renfort de campagnes publicitaires, sans avoir à en préciser la qualité, quand en réalité une partie des consommateurs n’obtiendra qu’une qualité parfois inférieure à celle de la 4G”, condamne ainsi UFC-Que Choisir. “Comment accepter cette situation, alors que les opérateurs ne font parallèlement pas mystère de leur volonté de monétiser cette 5G via des forfaits plus chers que ceux actuellement sur le marché ?”, s’interroge alors l’association, selon laquelle il s’avère “indispensable de contraindre les opérateurs à distinguer, dans les cartes de couverture qu’ils mettront en avant, les zones réceptionnant la 5G selon la qualité mise à la disposition des consommateurs particuliers”.

L’association demande par ailleurs à l’Arcep “d’interdire aux opérateurs de prétendre offrir de la 5G si celle-ci ne garantit pas – pas seulement en théorie mais aussi en pratique – des débits supérieurs à ceux de la 4G”. Reste désormais à voir si sa position sera entendue par le gendarme des télécommunications, qui risque d’avoir fort à faire pour s’octroyer l’unanimité sur ce dossier brûlant.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *